Le vin d’honneur
Le chapiteau dressé pour la cérémonie au beau milieu du parc de cinq hectares, accueille 300 convives… 300
convives que nous devons saluer et remercier de leur présence. Nous nous répartissons la tâche, une coupe à la main, le sourire accroché au visage. A tout seigneur tout honneur, Justine
m’attire vers sa mère, rayonnante de beauté. Elle a perdu six kilos depuis l’annonce de notre mariage, et dans cette petite robe à fleur très moulante, elle arbore fièrement ses nouvelles
courbes. A ses côtés, Charles, mon beau père, fait office de petit vieux. Il semble avoir vingt ans de plus, il n’en a que dix en réalité, mais Cathy a rajeuni, trouvé l’élixir de jouvence, et
elle sait mettre en avant sa nouvelle féminité. Des escarpins affinent le galbe de ses jambes en lui donnant un port de reine. Oui, après mon épouse, véritable impératrice de beauté, elle est
ici comme la reine mère. Ce titre lui va comme un gant tant elle me trouble et m’impressionne. Je l’aborde d’ailleurs par une formule très convenue, presque protocolaire.
- Je voulais vous
remercier pour votre investissement dans notre mariage, tout ce côté intendance très fastidieux que vous avez pris en charge. Le résultat est impressionnant, c’est une vraie réussite, pas une
fausse note ! Vous comblez et je m’en excuse la déficience de ma propre famille en ce domaine.
Sa réponse est
cinglante.
- N’accablez pas
votre famille mon petit Pierre, à leur place, je réagirai sûrement de la même façon. Mon investissement comme vous dîtes, voilà bien un terme de patron, je ne l’ai fait que pour ma fille, parce
que pour elle, c’est son premier mariage, et je l’espère le seul.
- Maman !
s’offusque Justine.
- Non chérie,
laisse, je comprends. Tu es ma troisième femme, ta mère est en droit de se demander si je suis fait pour le mariage. Toi seule, ma chérie est en mesure de la rassurer sur ce point.
Il s’agit d’une
allusion à peine voilée à notre contrat intime, une série de décisions régissant notre vie de couple, mises sur papier quelques jours plus tôt. Y figure en bonne place, mon engagement solennel
de demeurer fidèle et soumis à ma femme, ainsi que la décision financière de rétrocéder 80% de mes biens à Justine. Ce volet financier d’un accord qui se voulait au départ uniquement d’ordre
sexuel, a été rajouté au dernier moment pour donner à Justine une totale indépendance financière.
- Je suis au
courant de vos petits engagements, rétorque Cathy en levant sa coupe de Champagne vers sa sœur, histoire de trinquer à distance.
Je suis sous le
choc d’apprendre que Justine a confié une partie de nos secrets à sa mère.
- Tu lui as
dit ? demandais-je, d’un air dépité et un peu déçu aussi.
Justine arbore une
moue un peu gênée, mais elle ne l’est sûrement pas autant que moi. L’humiliation est terrible, je me sens rougir jusqu’aux oreilles.
- Eh oui mon petit Pierre, je sais tout ! claironne Cathy avant de vider sa coupe. Nous n’avons aucun secret Justine et moi !
Aucun secret… Est
il possible que Justine lui ai vraiment tout dit ? Mon goût pour la soumission ? La rétrocession de mes biens sur un compte dont Justine est seule bénéficiaire ? Est elle allée
jusqu’à lui confier qu’elle me tromperait à sa guise sans avoir de comptes à me rendre ? Pire, que ma femme ne sera jamais mienne ? Cette révélation, le jour de notre mariage, au
milieu de tous nos invités, m’assomme quelques instants. Le DJ lance la musique, ce qui couvre le bourdonnement des voix et m’apaise quelque peu. Je m’apprête à vivre sous la coupe de ma femme
pour le restant de mes jours, alors cela change quoi, au fond, qu’elle ait mis sa mère dans le secret ? J’essaie de répondre en prenant un air détaché mais mon trouble est
perceptible.
- Dans ce cas,
vous êtes bien placée pour savoir que votre fille n’a rien à perdre dans ce mariage, que j’ai placée en elle mes espoirs et ma confiance, et qu’il s’agit d’une démarche que seul un homme
éperdument amoureux peut entreprendre.
Justine est ravie
de ma déclaration, elle irradie de bonheur. Elle se jette à mon cou et me couvre de baisers. Cathy qui me semble à moitié convaincue, s’apprête à répondre mais Charles la devance. Il a assisté
à notre petite joute sans rien dire, discret et totalement effacé, fidèle à ses habitudes, mais c’est lui qui me sauve peut être d’une nouvelle réplique cinglante de son épouse.
- Pierre, Justine,
vous formez un très beau couple, dit il avec émotion. Cela se voit que vous vous aimez. Puis il porte son regard sur sa fille et ajoute, les larmes aux yeux. Ma chérie, nous te souhaitons tout
le bonheur du monde !
Justine abandonne
mon cou pour couvrir son père de baisers tandis qu’un grand bonhomme à barbe grise et noire passe son bras autour des épaules de ma belle mère.
- Alors petite
sœur, heureuse ? C’est pas tous les jours qu’on marie sa fille unique.
Il est éméché, il
a la bouche pâteuse, et il ne laisse pas le temps à Cathy de répondre qu’il tend les bras en direction de Justine et l’enlève littéralement à son père.
- Alors ça y est,
le petit taureau s’est laissé dompté, ironise-t-il tout sourire avant d’embrasser sa nièce.
Etant donné le
caractère volcanique de Justine, je trouve ce surnom plutôt bien trouvé. L’homme a la cinquantaine bien tassée, et des airs d’ours des cavernes.
- Mon chéri, je te
présente, Henri, mon oncle. Il me tend la main et me la broie littéralement en me tapotant l’épaule d’un air viril. Il est un peu brut de décoffrage, ajoute-t-elle sur le ton de la
plaisanterie, mais on l’aime bien au village, pas vrai.
- Evidemment,
comparé à ton cher papa, je fais office de macho, se défend il en adressant un clin d’œil à Charles. Mais tu sais ce que j’en pense, c’est pas parce que ma sœur lui a mis le grappin dessus et
le mène à la baguette que c’est comme ça que doit marcher les relations entre un homme et une femme. Pas vrai ? me lance-t-il soudain.
Pris au dépourvu,
je réponds d’un air gêné.
- Si vous le
dîtes.
- Tonton, je t’ai
déjà dit que t’avais une vision archaïque des relations homme, femme. D’ailleurs, tu n’es même pas marié.
- Je l’ai été et
crois moi, Lysiane faisait ce que je lui disais de faire.
- Oui, ben on sait
comment ça s’est fini, intervient Cathy, goguenarde en tendant une coupe à son frère. Et je ne crois pas que ce soit toi qui lui ai dit de partir à ta Lysiane.
Jacques prend la
coupe, la vide à moitié, et se retourne vers moi pour trinquer.
- En tous cas,
Charles, faut lui serrer la vis à la Justine ! C’est pas la fille de sa mère pour rien.
- Ca oui je sais,
comptez sur moi, Henri.
Justine, derrière
son oncle, lève les yeux au ciel dans une moue qui m’arrache un sourire, puis satisfait, le tonton macho, s’éloigne pour aller trinquer avec un autre. Justine le remplace dans la
seconde.
- Alors comme ça
tu vas me serrer la vis ? me murmure-t-elle à l’oreille.
Elle a cet air
espiègle qui m’a fait craquer la première fois que je l’ai vu. Une lueur de défi et d’autorité brille dans ses yeux. Si nous n’avions pas été entourés de tous ces gens, je suis persuadé qu’elle
aurait montré à son oncle d’une manière ou d’une autre que c’est elle qui porte la culotte dans notre couple, et non l’inverse, comme le pense le brave tonton. Mais ce n’est que partie remise,
je le sais.
- Tu ne perds rien
pour attendre, mon chéri, me susurre-t-elle en me mordillant le lobe de l’oreille, tu vas voir…